Jean Wirth : débats autour d'un portail

La publication de Germigny-l’Exempt ou les trois deniers de Gaspard a donné lieu à un échange serré et de qualité avec Jean Wirth depuis septembre 2022. J’ai cru utile à tous d’en partager ici la teneur à cause d’abord de la compétence exceptionnelle de Jean Wirth dont nul n’ignore qu’il est l’un des plus éminents spécialistes au monde de l’iconographie religieuse du Moyen Âge, ensuite parce que J. Wirth est un démolisseur qui aime tester à coups de masse la validité d’une hypothèse, ce qui lui a valu autant d’admirateurs d’élite que de solides inimitiés parmi les médiocres (« viel Feind, viel Ehr! » disait Frundsberg, le père des lansquenets), enfin parce que les questions soulevées par lui et les réflexions qu’il inspire sont naturellement toutes fructueuses à des titres variés. De tous les sujets abordés, le seul sur lequel nous ayons une divergence réelle est l’interprétation qu’Émile Mâle donne du programme iconographique de la façade de Saint-Gilles du Gard. Je me suis laissé séduire par l’idée, que je trouve très convaincante, d’un programme répondant à l’hérésie de Pierre de Bruys; mes raisons sont simples, je vais m’en expliquer ici même, un peu plus loin. Jean Wirth, au contraire, repousse catégoriquement l’interprétation de Mâle, et les arguments qu’il avance pour le discréditer sont intellectuellement stimulants.

 

Jean Wirth

Pour récapituler, Jean Wirth et moi sommes d’accord sur l’influence de Laon (« Comme vous l’avez noté, les feuillages viennent bien de là, ainsi sans doute que les banderoles pendantes ») et sur celle de Chartres (« L’adoration des mages du vitrail 114 de Chartres [est] probablement le modèle de la vôtre […] En fait, cela confirme votre datation, car les vitraux hauts du chœur datent des environs immédiats de 1215 »). Ce rapport, selon lui, est favorable à la thèse que je présente puisque « Chartres est lié à la croisade ». Nous sommes naturellement d’accord sur la provenance musulmane des pièces d’or (« Je ne doute pas que vos pièces d’or viennent probablement du monde musulman ») [1]. Nous nous accordons enfin sur le fait qu’il y a probablement eu un stade transitoire de conflation symbolique concernant le nombre de pièces qui renvoie aussi au Pseudo-Matthieu [2], ce que j’ai vu aussitôt et qui n’avait pas non plus échappé à Gilberte Vezin, comme il m’a été donné de le constater quelque temps après. Cette allusion, d’ailleurs, renforce l’équivoque du récipiendaire (don à l’Enfant Jésus, mais par – ou non – l’intermédiaire de sa Mère). Il y a donc deux références à prendre en considération: premièrement, le Pseudo-Matthieu (sens littéral des rois mages), deuxièmement, une oblation « de circonstance » à la Vierge-Église, qui s’adresse à Jésus, bien sûr, mais par la médiation de sa Mère intercessrice (sens tropologique des rois croisés). Car nous avons ici affaire à un portail de l’Incarnation. Or l’Incarnation n’est pas un thème anodin dans le prolongement de la réforme grégorienne, surtout à l’époque où le IVe concile du Latran (1215) en dogmatise la doctrine, puisqu’avec l’avènement de la religion des temps nouveaux, l’Église, entendue au sens d’institution théocratique, tient absolument à faire triompher une fois pour toutes l’idée que le monde vit son dernier âge, inauguré par l’événement fondateur de l’Incarnation, preuve qu’il n’y a point de salut en dehors d’Elle, et qu’elle est la médiatrice exclusive et universelle entre les hommes et Dieu.

C’est dans ce contexte politico-religieux dont procède l’esprit des croisades qu’il convient de juger de l’oblation monétaire. Au point de vue iconographique, le vitrail de Saint-Denis dont Françoise Perrot m’a envoyé l’image et le commentaire le vendredi 14 mai 2021 est particulièrement éloquent: on y constate que le don de l’or confondu avec un don monétaire peut très bien se passer, désormais, d’une allusion au Pseudo-Matthieu (les trois pièces) qui était purement facultative. A Saint-Denis, en effet, le premier mage, agenouillé, offre une seule pièce d’or; tandis que les deux autres apportent respectivement la myrrhe et l’encens. Françoise Perrot y voit la confirmation du bien-fondé de mon explication. Elle écrit: « Ce qui est particulièrement intéressant, c’est l’inscription AVR[VM] T[VS] MIRA[M]: la pièce que tient le premier Mage renvoie explicitement à l’or. La date se situe vers 1148, l’Enfance se situant dans le chœur de Suger. » D’autres que cette grande spécialiste du vitrail médiéval ont voulu, par un déchiffrement alambiqué, lire dans AVR * T * MIRA la citation [PER] A[LIAM] V[IAM] R[EVERSI SUN]T IN RE[GIONEM SUAM]  [3]. Je n’ai jamais évoqué cette interprétation pour au moins deux raisons. D’abord elle ne correspond pas à la scène, tandis que l’interprétation de Françoise Perrot s’harmonise parfaitement avec l’image. Ensuite cette seconde hypothèse, plutôt tortueuse, ne me semble pas résister un instant au rasoir d’Ockham. Jean Wirth la rejette absolument pour adhérer exclusivement à la lecture de Françoise Perrot: « Du point de vue paléographique, la lecture de Françoise Perrot me paraît clairement la bonne ». A moi de même.

Jean Wirth approuve encore mon interprétation de l’iconographie infernale du narthex et paradisiaque de la chapelle haute. Cependant, il insiste sur l’absence de spécificité dans les hérésies (« Je ne crois pas à une iconographie antihérétique spécifique. En un sens, c’est toute l’iconographie médiévale qui est antihérétique. Lorsqu’il est fait allusion à une hérésie déterminée, c’est à Arius ou, abusivement, à Mahomet ») On ne peut qu’être d’accord avec ce point de vue en général, et tout particulièrement à propos de Germigny-l’Exempt. Dans la traversée de la nuit du tombeau, une des figures de la damnation parmi d’autres est celle de l’hérétique, dont le visage grimaçant au regard agressif surmonte un cou étiré de reptile sur un chapiteau semé de masques de chats. Debra Strickland, l’experte de ce type de représentations, m’a dit que la coiffure excentrique de ce personnage, malheureusement bûché, était un indice fort, ce que je pense aussi. Cependant on ne saurait soutenir que le narthex de Germigny est consacré à l’hérésie qui n’est qu’une des manifestations du diable, ni surtout à une hérésie en particulier, même si l’on peut raisonnablement supposer que le commanditaire et l’artisan avaient en tête celle avec laquelle l’Église locale était précisément en train de se débattre.

J’ai moi-même depuis longtemps insisté sur l’absence de spécificité de l’hérésie du point de vue de l’Église, puisque c’est précisément l’idée que je défends dans un article paru il y a deux ans dans la revue d’histoire de l’art médiéval de l’Université de Madrid. Le fait est qu’à partir du Moyen Âge central, toute forme de spiritualité ou de croyance qui en Europe n’était pas une pure production de l’Église grégorienne ou d’origine contrôlée par elle, a été effacée avec la plus vigoureuse hostilité, ou refoulé – pour reprendre les expressions d’Eddington et de Minkowski – dans les ténèbres de l’ailleurs absolu, hors du cône de lumière de l’histoire sainte. Du point de vue philosophique et politique, on peut d’ailleurs voir dans cette révolution des idées le passage définitif de la civilisation européenne, c’est-à-dire gréco-romaine, à la civilisation qu’on appellera plus tard « occidentale », où l’accent est mis sur l’accomplissement eschatologique d’un progrès linéaire du monde vers la fin des temps. L’âge ultime, inauguré par le mystère de l’Incarnation, se confond avec le temps de l’Église dont la mission consiste à imposer partout, et par tous les moyens, le christianisme afin de « sauver l’humanité » d’elle-même. L’historicisme de la modernité, moteur de tous les totalitarismes, n’est que la forme sécularisée de cette façon de voir développée entre le XIe et le XIIIe siècle qui est totalement étrangère à la civilisation antique et mettra des siècles à s’imposer au sein de la Chrétienté.

Dans ce contexte de la « révolution des temps nouveaux », l’hérétique n’est pas nécessairement celui qui hait l’Église. C’est surtout celui que l’Église hait, et à qui elle dénie toute personnalité propre. Pour le clergé, en effet, les traits particuliers de tel ou tel hérésiarque sont parfaitement spécieux puisque l’apparente diversité des hérésies ne dissimule comme autant de masques qu’un seul visage: celui du diable, de l’Étranger absolu (d’où l’exotisme volontaire des appellations fantaisistes de « Bougres » et de « Cathares » qui recouvrent pêle-mêle des phénomènes en réalité autochtones et souvent sans rapport entre eux). Toutefois, toute règle souffre des exceptions. Ainsi, l’imagier voulant représenter un hérétique – cela peut tout de même se trouver – va en sculpter la manifestation qui lui est familière. Quelquefois aussi, il n’est pas absurde d’imaginer que le retentissement traumatique prononcé d’un épisode hérétique particulier a pu fortement imprimer son souvenir à l’espace sacré où il s’est déroulé. Ainsi, c’est à l’emplacement de l’actuel parvis de Saint-Gilles qu’ont eu lieu les profanations répétées et finalement le supplice de Pierre de Bruys sur le bûcher même qu’il avait dressé pour immoler des crucifix. L’idée d’une conjuration des points capitaux de l’hérésie pétrobrusienne par l’image sacrée, idée défendue par Émile Mâle, reste donc pour moi jusqu’à présent assez convaincante, surtout quand on considère le tympan de la crucifixion qui – comme on sait – a tant frappé Antelami.

Concernant la commande du portail de Germigny par l’archevêque en personne, Jean Wirth pense, après débat, que les réponses que j’apporte sont « totalement convaincantes » en raison du statut spécial et insolite de Germigny que j’ai pour la première fois dégagé des sources diplomatiques comme les pouillés provinciaux et les anciens chartriers. Le comportement de l’archevêque Girard de Cros est d’ailleurs tout à fait représentatif des descriptions de Florian Mazel sur l’interventionnisme épiscopal entre le milieu du XIIe et le XIIIe. Rappelons que j’avais déjà reçu à ce sujet une pleine et entière adhésion de Guy Devailly qui était comme chacun sait le meilleur connaisseur au monde du fonctionnement du diocèse de Bourges au Moyen Âge central. J. Wirth pense néanmoins défendre une conception beaucoup plus « libérale » que la mienne de l’artisanat sacré parce que je me place sur la ligne de Grabar, qui rappelle l’importance pour Cluny des actes du deuxième concile de Nicée en 787, et de Cazes avec sa « propagande cléricale ». Jean Wirth écrit: « Je ne prétends pas que les artistes faisaient n’importe quoi. Mais la situation normale devait être de leur commander une Annonciation ou une Adoration des mages sans plus de spécification. Ils savaient se débrouiller. Les rares indications qu’on ait antérieurement à la fin du Moyen Age vont dans cette direction, ainsi les listings pour l’illustration continue du psautier. »

Encore une fois, c’est quelque chose que je me garderai bien de contester. Il est à peu près certain, en effet, que dans la plupart des cas, la commande se limitait à définir un thème et à donner quelques grandes directives, donc un cadre général au sein duquel les artisans s’exprimaient à leur guise. Les consignes des commanditaires ne s’étendaient probablement jamais aux détails. En somme, il y avait « du jeu » aux sens mécanique et créatif. Mais d’une part l’existence supposée des carnets de modèles – à la circulation desquels je crois fortement – indiquerait justement que certaines représentations majeures ont pu être fixées en accord avec le clergé, et d’autre part je m’interroge: est-ce qu’on ne risque pas de sous-estimer la culture des maîtres d’œuvre en pensant qu’ils se contentaient de reproduire des formes sans y attacher la signification non seulement religieuse, mais encore historique et politique qu’on avait dû leur transmettre avec le modèle? La discussion ici reste en suspens dans l’attente d’une réponse de Jean Wirth susceptible de dissiper un éventuel malentendu.

En tout état de cause, il est clair que ce qui s’articule autour du thème principal – figures secondaires, décorations, ornements, fioritures – pouvait se faire en l’absence de tout rapport logique de subordination et ne pas exprimer plus d’intention qu’une prouesse privée ou un simple remplissage fantaisiste et arbitraire. Comment s’expliqueraient sinon les figures incohérentes des grands portails auxquels semble n’avoir présidé aucun principe d’organisation (J. Wirth parle d’aporie chartraine), ou les représentations parfaitement profanes, voire ouvertement païennes ou quelquefois franchement obscènes ou qui confinent au sacrilège? Si, en dehors des motifs strictement ornementaux (le marmouset escaladant un entrelacs végétal, le grimpereau picorant un arum, etc.), j’exclus l’arbitraire du portail de Germigny, c’est parce qu’il ne s’agit pas d’une œuvre de grande ampleur, d’un chantier immense qui s’est éternisé, mais d’un portail miniature, tardif, minutieusement exécuté sur commande et expédié dans un temps probablement très court, où le nombre limité de figures doit imposer une lecture typologique et allégorique sensée. Pour le moment, je ne crois pas non plus à l’arbitraire des tympans de Saint-Gilles, et je ne peux attribuer au hasard la copie de Laon, puisque ces deux œuvres sont strictement contemporaines et produites sous l’abbatiat et l’épiscopat de personnages qui se connaissent, partagent les mêmes vues théologiques, et sont d’ailleurs dans un rapport politique exactement identique avec le pouvoir capétien (c’est-à-dire Louis VII).

Jean Wirth me fait observer qu’Émile Mâle dit des sottises, et il a raison: « Je viens de relire le passage de Mâle sur Saint-Gilles. Il trouve que l’eucharistie et la pénitence étaient « les deux principaux sacrements ». Moi, je croyais que c’étaient le baptême et l’eucharistie. Quant à considérer le lavement des pieds comme relatif à la pénitence, c’est très discutable. Il me semble que le mandatum concerne essentiellement l’humilité. Je passe sur les divagations qui suivent à propos des Noces de Cana à Charlieu. J’aimerais bien qu’on me trouve un thème chrétien auquel on ne peut accrocher une signification antihérétique, mais il n’y en a certainement pas. » A cette dernière observation, avec laquelle – encore une fois! – je suis naturellement d’accord, j’ajouterai qu’à Saint-Gilles, ce n’est pas tel thème d’un tympan en particulier qui est spécialement antihérétique (cela n’aurait aucun sens: comme le dit Jean Wirth, tous les thèmes chrétiens sont antihérétiques!) C’est la structure d’ensemble des trois tympans, qui est d’une parfaite originalité, et semble effectivement répondre à l’hérésie pétrobrusienne. Que le tympan de l’Incarnation ait été emprunté par l’évêque de Laon à l’abbé de Saint-Gilles pour remplir la fonction d’une synecdoque – la partie rappelle le tout –, et en pleine connaissance de cause de la signification première, voilà ce que je crois. Qu’il ait été choisi pour sa représentation triomphale de l’Incarnation, donc en revendication de l’hégémonie temporelle et géopolitique de l’Église de Rome au dernier âge du monde, cela ne me semble pas discutable. Ce n’est donc pas positivement, mais négativement qu’il faut comprendre le caractère antihérétique du tympan de Germigny: l’obéissance au pape doit être absolue, car en dehors de l’Église à qui l’événement fondateur de l’Incarnation, en inaugurant le dernier âge du monde, a donné la mission d’acheminer l’humanité vers son salut, on bascule nécessairement dans l’abîme du temps, dans ces ténèbres diaboliques et sans rédemption où grouillent les hérétiques, dans l’ailleurs absolu de l’Histoire éclairée par la lumière divine de l’Esprit saint [4].

Un sujet lié qu’à regret je n’ai pas abordé dans le livre, et sur lequel il restera un jour à s’étendre, concerne la vogue des titulatures mariales sous le vocable de Notre-Dame qui se multiplient au Moyen Âge central. Au Xe siècle, la forme générale est sancta Maria. Ce n’est qu’au XIIe siècle que le vocabulaire médiéval de la piété mariale commence à employer couramment Nostra Domina dont la formule se substitue aux Sainte-Marie. Or cette appellation dont l’origine est attachée à l’Immaculée Conception des Anglo-Normands renvoie en même temps à la « Nostra Domina contra haereticos », ce qui complète sa fusion avec l’idée que l’Église se fait d’elle-même puisque le clergé s’est assigné l’éradication de l’Autre du christianisme comme mission terrestre et raison d’être.  Dans les trois cas de Saint-Gilles, de Notre-Dame de Laon et de Notre-Dame de Germigny, le caractère iconographique du « Trône de Sagesse » (Sedes Sapientiae) est clairement issu de la Nikopoia byzantine. Celle-ci ne manque certainement pas d’évoquer aux clercs le concile qui, en 431, a solennellement proclamé Marie Théotokos à Éphèse. Il conviendrait donc de s’interroger un jour sur le choix de cette figure témoin, quoique éphémère, de la transition du roman vers le gothique au moment où l’encadrement liturgique exigeait d’intégrer pour les canaliser certaines manifestations spontanées de la ferveur populaire (« lex orandi, lex credendi »).

Rappelons au passage que la transition conceptuelle de la sancta Maria du haut Moyen Âge vers la Nostra Domina du Moyen Âge central ne s’est pas faite sans rencontrer une vive résistance de la part d’éminents théologiens et docteurs de l’Église qui s’opposaient aux multiples aspects d’une telle évolution. L’absence d’argument scripturaire en faveur de l’immaculée conception, l’exemption de Marie du péché originel qui doit affecter toute l’humanité dont l’unique rédempteur est le Christ, le risque aussi de voir le culte marial sombrer dans la mièvrerie d’une dévotion sentimentale, enfin la déification de la Vierge, tout cela a inquiété les théologiens du XIe s. jusqu’à Pie IX. Ces éléments néanmoins trouveront leur point de fusion à la fin du Moyen Âge central, notamment dans le creuset doctrinal d’Albert le Grand et la mariologie de ses imitateurs. Ainsi, dans le De Mysterio Missae, le parallèle classique est dépassé entre la virginité de Marie et celle de l’Église à la foi toujours intacte, entre l’enfantement de Jésus par Marie et la production des saints dont l’Église compose le corps mystique du Christ (Eph., I, 22). La Vierge n’est plus seulement le modèle de l’Église. Vierge et Église ne sont plus seulement analogues aux points de vue de l’exemplarité et de l’intercession. Notre Dame devient la mère de l’Église, devient l’Église même par le lien salvifique qui les unit, celui d’une souffrance et d’une responsabilité partagées:

MARIA, DOMINA MUNDI, QUIA FIGURA ECCLESIAE EST ET MATER, CASTIS VISCERIBUS PER COMPASSIONEM FILIOS ECCLESIAE CONCIPIENS, IN CHARITATE FORMANS, ET PER ADOPTIONEM FILIOS ECCLESIAE, FRATRES FILII SUI PERFICIENS; SIC OMNIUM MATER EST ET DOMINA.

NOTES

[1] C’est un des points les moins discutables, en effet. Je me suis appliqué à prouver par le contexte monétaire, scripturaire et littéraire qu’il ne peut s’agir à Germigny que de monnaies arabes: premièrement, à peu de chose près, les seules pièces d’or en circulation sont des pièces musulmanes remontant soit d’Espagne, soit de Sicile, soit de Terre sainte. Tous les numismates sont d’accord sur ce point. Deuxièmement, les pièces d’or associées aux rois mages renvoient explicitement aux psaumes prophétisant le don de « l’or d’Arabie » (dabitur ei de auro Arabiae, etc.). Troisièmement, toute la littérature – dont les exemples les plus illustres sont la Chanson de Roland contemporaine de la première croisade et de la Geste des Francs (chronique anonyme qui en constitue en quelque sorte l’Iliade), le Moniage Guillaume rédigé entre l’échec cuisant de la deuxième croisade et la revanche de la troisième, et le Jeu de saint Nicolas, pièce de propagande écrite à la veille de l’expédition de 1204 – toute la littérature, donc, associe clairement les pièces d’or avec l’Islam et les croisades. Aussi, il ne s’agit pas de conviction privée ou d’impression vague répondant à un simple désir sur un sujet indémontrable aux contradictions insolubles. Bien au contraire: tout indique l’absolu bien-fondé d’un tribut monétaire prélevé sur quelque trésor arabe, et il importe de souligner que loin d’être parti de cette idée a priori, c’est à ma propre surprise que j’y suis arrivé, à la longue, et par la contrainte des faits. Le rôle qu’aura joué Françoise Perrot dans l’amorce et la confirmation de ce cheminement n’est pas négligeable.

[2] CAPUT XVI. Transactis autem duobus diebus uenerunt magi ab Oriente Hierosolymam, magna munera offerentes ; qui instanter interrogauerunt Iudaeos dicentes, « Ubi est rex, qui natus est nobis? Vidimus enim stellam eius in Oriente, et uenimus adorare eum. » Haec opinio perterruit omnes: et misit Herodes ad scribas et Pharisaeos et doctores populi ut inquireret ab eis, ubi Christum propheta nasciturum praedixerat. At illi dixerunt, « In Bethleem. »  Sic enim scriptum est, « Et tu Bethleem, terra Iuda, nequaquam minima es in principibus Iuda: ex te enim exiet dux, qui reget populum meum Israel. Tunc Herodes rex uocauit magos et diligenter inquisiuit, quando eis apparuit stella: et misit eos ad Bethleem dicens, « Ite et mihi rogate diligenter de puero, et quum inueneritis eum, renuntiate mihi, ut et ego ueniens adorem eum. » Euntibus autem magis in uia apparuit stella, et quasi quae ducatum praestaret illis, ita antecedebat eos, quousque peruenirent ubi puer erat. Videntes autem stellam magi gauisi sunt gaudio magno. Et ingressi domum inuenerunt infantem Iesum sedentem in sinu Mariae. Tunc aperuerunt thesauros suos et ingentibus muneribus munerauerunt Mariam et Ioseph. Ipsi autem infanti obtulerunt singuli munera: unus obtulit aurum, alius thus, alius uero myrrham. Qui quum ad Herodem regem reuerti uellent, admoniti sunt in somniis, ne redirent ad Herodem. Illi autem adorauerunt infantem cum omni gaudio, et per uiam aliam reuersi sunt in regionem suam.

[3] Mat. II, 12: « Et responso accepto in somnis ne redirent ad Herodem per aliam viam reversi sunt in regionem suam » / Ps-Mat, XVI: « Qui cum ad Herodem regem reverti vellent, admoniti sunt in somnis ab angelo ne redirent ad Herodem. Illi autem adoraverunt infantem cum omni gaudio et per viam aliam reversi stant in regionem suam. » / Homél. grég. « Et, apertis thesauris suis, obtulerunt ei munera, aurum, thus et myrrham. Et, responso accepto in somnis ne redirent ad Herodem, per aliam viam reversi sunt in regionem suam. » / Epiphania, 8: « Admoniti Magi in somnis ab angelo, per aliam viam reversi sunt in regionem suam. »

[4] C’est pourquoi le radotage débile – depuis près de deux siècles! – par ceux qui n’ont rien à dire à propos du tympan de Germigny-l’Exempt, lequel représenterait selon eux « l’Adoration des mages » (l’Adoration des mages, l’Adoration des mages, l’Adoration des mages, l’Adoration des mages, ad vomitum revertens…), témoigne d’une indigence intellectuelle et d’une incompréhension de pécore absolument atterrantes. Il y a effectivement une Adoration au tympan de Germigny, élément qui semble être le seul à la portée des radoteurs (et encore!) Mais le thème du tympan n’a jamais été l' »Adoration des mages »; le thème du tympan de Notre-Dame de Germigny-l’Exempt est le MYSTÈRE DE L’INCARNATION!